Branville-Hague : histoires enfouies dans un nom

02/06/2025

Le paysage, premier témoin du nom

Quand le vent s’attarde sur la lande, la toponymie s’éveille. À Branville-Hague, chaque syllabe semble retenir un peu de brume, quelques éclats d’ajoncs et beaucoup de mémoire. Avant de plonger dans les livres ou les registres, il suffit parfois d’ouvrir l’oreille au paysage pour s’interroger : que veut raconter ce « Branville » blotti au cœur de la Hague ?

Branville-Hague appartient à la mosaïque des 18 « Branville » français, dont au moins 13 vivent en Normandie (source : Cassini, INSEE). Mais celui-ci, posé à la pointe nord-ouest du Cotentin, porte en plus la marque de la Hague, cet éperon de granit face au large.

Décomposer « Branville » : la racine et le suffixe

L’histoire des noms de villages normands se lit souvent comme une palimpseste linguistique : couches gallo-romaines, germaniques, scandinaves, françaises... Branville n’échappe pas à la règle :

  • -ville : Ce suffixe, inévitable en Normandie, remonte au latin villa, la « domaine rural ». On le retrouve dès les premiers siècles du Moyen Âge, à l’époque où l’on baptise lieux-dits et clairières défrichées au gré des concessions seigneuriales, entre le VI et le XI siècle (voir : "La Normandie et ses noms de lieux", François de Beaurepaire).
  • Bran- : Ici, le mystère s’épaissit et suscite diverses hypothèses.

La combinaison de ces deux éléments laisse imaginer que Branville fut, à sa fondation, une ferme ou un domaine identifié par un nom, lui-même porteur d’Histoire.

Bran : légende celtique ou patron scandinave ?

Ouvrons la boite à hypothèses, entre érudition et transmission orale :

La piste celtique : « Bran » comme le corbeau ?

Pour certains étymologistes, « Bran » pourrait venir du celtique, où il signifie « corbeau ». Le mot apparaît dans des prénoms et des noms gallo-brittoniques : Bran, Bren, Brannos (source : Dictionnaire de la langue gauloise, Xavier Delamarre). Le corbeau, oiseau de l’Ouest venté, joue un grand rôle dans les mythes de Bretagne et du monde celtique. Mais, s’il existe des traces de présence celte dans le Cotentin, la plupart des villages « Branville » semblent plus récents, plutôt médiévaux que protohistoriques.

L’influence norroise : « Brand » ou « Branni », des prénoms vikings

La Normandie naît de la vague viking au X siècle. Selon toute vraisemblance, la racine « Bran- » ferait ici référence à un nom de personne scandinave, tel que Brandr (le feu, l’épée) ou Branni. De nombreux « -villes » normands suivent elle-même cette logique : "Quetteville", "Hainneville", "Bricquebec"… La Revue de la Société des Antiquaires de Normandie, en 1887 déjà, établissait cette filiation entre les « ville » normandes et les anthroponymes vikings.

Le Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France (Albert Dauzat, Charles Rostaing) confirme l’hypothèse viking pour « Branville », citant « Brandavilla » dans un texte du XII siècle.

Branville dans les anciens écrits : archives et variantes

Suivre le fil du nom, c’est aussi passer de main en main les vieux papiers : après des recherches dans les archives du calvados.gouv.fr, du Centre généalogique de la Manche ou du Bulletin de la Société d’Archéologie du Cotentin, voici ce que l’on découvre :

  • 1180 (Redon, cartulaire de Troarn) : mention de « Branvilla »
  • XIII siècle : « Branvil » ou « Branville », parfois aussi écrit « Braneville »
  • 1533 (visite pastorale) : "Branville sur Hague"
  • XIX siècle : le nom officiel devient « Branville-Hague » pour se différencier des homonymes des environs – Branville, Branville-la-Bérangère, etc.

Le nom n’a cessé de fluctuer, s’ajustant aux frontières administratives, aux usages locaux et à la nécessité de se distinguer.

Le supplément « -Hague » : marque de territoire et d’appartenance

Ce qui donne à Branville son entière singularité, c’est la mention « Hague ». On la retrouve dans Auderville-Hague (aujourd’hui Auderville), Omonville-la-Rogue ou Vauville.

  • La Hague : Du vieux norrois hagi, signifiant le pâturage, la lande ou l’« enclos ». Dès le Moyen Âge, ce terme désigne spécifiquement cette pointe nord-ouest du Cotentin, vaste plateau d’ajoncs dénudés et de bocages ébouriffés (cf. "Toponymie normande" de Jean Renaud, 2022).
  • Ajouter ce morceau au nom du village, c’est à la fois une précision géographique et un acte de fierté locale. À l’époque moderne, cela évite la confusion avec d’autres Branville (ex. Branville dans le Calvados, ou Branville-la-Bérangère dans l’Eure).

La formulation Branville-Hague rappelle que l’identité du village est indissociable de son rivage venté, de ses chemins couverts et de ses résurgences celtiques ou scandinaves.

Cartes anciennes & répertoires : Branville-Hague dans les sources

Sur la Carte de Cassini (XVIII siècle), Branville est déjà représentée discrètement, attestant de son existence continue. Dans les relevés du Bureau topographique de la Manche (1835), on lit : "Branville (d. Hague, c. Beaumont)".

  • 1836 : Branville occupe alors 4,84 km et compte 220 habitants (recensement d’époque).
  • Aujourd’hui, elle fusionne au sein de la commune nouvelle de La Hague (2017), mais le village conserve son nom dans le langage courant, les panneaux et la mémoire partagée.

Le Dictionnaire historique de la Manche souligne que Branville n’a jamais changé de site depuis le Moyen Âge — cas relativement rare dans la région, marquée par des hameaux « glissants » au fil des siècles.

Suggestions pour aller plus loin : sur les traces du nom

  • La promenade des hameaux : Aux extrémités de Branville, des lieux-dits comme « La Cour », « La Bruyère », « La Mazure » rappellent les étapes de peuplement du village. Une balade aux aurores ou en fin d’après-midi donne l’occasion de ressentir l’atmosphère qui forgea son identité.
  • Les rencontres aux Archives départementales de la Manche : Expérience forte pour qui aime toucher du doigt les anciens parchemins et confronter les légendes aux actes notariés.
  • Lire la toponymie dans le paysage : Observer la lande de la Hague, comprendre « hagi » : la lande, mais aussi le passage, l’espace ouvert – toute une géographie à lire sur place.
  • Écouter les anciens : Les habitants de plus de 80 ans racontent parfois que « Branville », dans leur enfance, s’appelait juste « Bran’ ». Une familiarité qui en dit long sur l’attachement à la racine la plus simple.

Anecdotes : petites histoires du nom

  • Branville et la pomme d’api : Une tradition orale voudrait que « Bran » évoque aussi une variété de « bramblins », de petites pommes acidulées qu’on récoltait dans les haies. Même si l’explication reste fantaisiste, on la retrouve au détour des veillées (Source : Écomusée de la Hague, témoignages collectés 1976-1982).
  • Une confusion postale : Dans les années 1950, le maire de Branville fut plusieurs fois sollicité par erreur pour le Branville du Calvados. Il fit ajouter « Hague » sur tous les actes officiels du village, dans une modernisation documentée par les archives municipales.
  • Le patronyme « Debranville » : Rare, il apparaît dans les registres de paroisse du XVII siècle, témoignant d’une ancienne coutume : donner le nom du village d’origine comme nom de famille lors de migrations vers Cherbourg ou Caen.

Le nom, fil d’appartenance

Branville-Hague, ce nom tressé de landes et de ruisseaux, porte l’empreinte d’un passé multiple : domaine viking ou demeure du corbeau celtique ? Le mystère demeure, source inépuisable à la fois pour l’imaginaire et pour la mémoire locale. Au-delà de l’histoire, le nom continue d’évoquer un sentiment d’appartenance, une façon de désigner « son » coin du Cotentin — unique, singulier, enraciné dans son décor.

Lecteurs, promeneurs, voisins ou curieux, nul doute : il reste mille détails à glaner, mille archives à exhumer : et si Branville-Hague nous invitait à hisser un instant l’oreille au vent des noms ?

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