Aux racines de Branville-Hague : histoires et métiers d’autrefois

18/06/2025

Le village avant le village : un territoire façonné par les gestes

Branville-Hague, posé comme un secret au cœur de la presqu’île, ne s’est pas construit du jour au lendemain. Ici, les dunes et les chemins creux ont longtemps résonné de métiers disparus, de silhouettes affairées à des tâches que le temps a effacées mais que le paysage, parfois, semble encore murmurer. Autrefois, les villages de la Hague – et Branville plus que d’autres, par son isolement et sa proximité de la mer – étaient structurés par des activités essentielles à la survie quotidienne, entre terre, mer, et vallon. Des chiffres précis manquent parfois pour cette microhistoire, mais les archives communales, les travaux du Musée régional du Cotentin, et les témoignages recueillis par le Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin permettent de faire revivre ces métiers.

La Hague, terre de paysans et de jardiniers

Impossible d’évoquer le Branville d’hier sans parler de son lien à la terre. Ici, les “millions de talus” – ces murets de pierre et haies vives – sont les témoins d’un paysage morcelé en petites parcelles, où chaque famille cultivait son coin de champ.

  • Les laboureurs et manouvriers agricoles : De l’aube à la tombée de la nuit, ils travaillaient d’arrache-pied sur des terres ingrates, souvent gagnées sur le vent. A Branville-Hague, on recense, selon les états de recensement de 1846, une majorité de ménages dont le chef était “journaliers” ou “cultivateur”, oscillant entre travaille à la tâche et fermage.
  • Les femmes “aux champs” : Les femmes, souvent effacées dans les registres, participaient à la fenaison, à la récolte du lin ou du trèfle, à l’arrachage des pommes de terre et des navets, à la cueillette des pommes à cidre. Souvent, elles étaient aidées par les enfants sortis tôt de l’école, l’autonomie prévalant sur l’instruction.
  • Le lin et le chanvre : Jusqu’au début du XXe siècle, on tissait encore le lin à domicile – un travail domestique, mais structurant pour l’économie du village. Selon Jacques Leclerc, ethnologue, un tiers des maisons du Cotentin possédaient leur propre rouet jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Les marins et pêcheurs, sentinelles du littoral

On ne saurait oublier que la Hague regarde la mer à chaque souffle. Branville s’est formé dans l’arrière-pays, mais la proximité du rivage et de la Baie d’Ecalgrain façonnait la vie des familles.

  • Pêche familiale et professionnelle : Jusqu’aux années 1930, on comptait dans chaque hameau un ou plusieurs “pêcheurs à pied”. La glane de coquillages, le relevage de casiers à homards, le ramassage de goémon structuraient des rythmes saisonniers. Une enquête de La Manche Libre (édition spéciale 1995) rappelle que la récolte du goémon représentait jusqu’à 20 % des ressources supplémentaires pour certaines familles du Val de Saire et de la Hague.
  • Le sauvetage, vocation locale : À Auderville, non loin de Branville, la Société nationale de sauvetage en mer possède une station depuis 1865. Les “sauveteurs bénévoles” étaient parfois aussi fermiers, sabotiers ou carriers. L’esprit collectif, si fort à la Hague, s’y est forgé aussi dans cet élan communautaire face à la mer.

L’artisanat, cœur battant des hameaux

Avant l’ère automobile et les “embauches à la centrale”, la vie de Branville et de ses voisines battait au rythme des corps de métiers artisanaux. Un village n’était vivant que s’il avait ses fers, ses roues, ses outils et son pain.

  • Le maréchal-ferrant : Figure centrale du village, son atelier faisait office de petit centre social. Outre les fers aux chevaux, il réparait les outils, fabriquait clous, jouerait parfois le rôle de vétérinaire improvisé. À Branville, la présence d’un “ferronnier” est attestée jusqu’en 1960 selon le registre des métiers.
  • Le charron : Il façonnait les roues de charrette, élément vital des transports agricoles et du commerce du cidre et du foin. Son métier disparaît progressivement dès l’arrivée du machinisme à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
  • Le sabotier : À la fin du XIXe siècle, la Hague comptait plus d’une vingtaine de sabotiers (source : AD50 - Archives de la Manche), travaillant le bois de hêtre ou de bouleau, en réponse à l’usure quasi quotidienne de ce type de chaussure.
  • Les tisserands et fileuses : Métiers à tisser installés en bordure de cheminée, là où la lumière était meilleure, pour confectionner des “brouesses” (grosses chemises de lin), torchons, et toiles à matelas. La Hague a ainsi largement participé à la réputation du lin du Cotentin jusqu'au début du XXe siècle.
  • Le forgeron : Souvent confondu avec le maréchal-ferrant, il était l’artisan des verrous, des ferrures de porte, des grilles et balustrades, parfois commandées par les “grandes maisons” voisines.
  • Le meunier et le moulin à vent : Les moulins à vent sur les hauteurs de Branville-Hague servaient la communauté. Souvent, un seul moulin suffisait aux besoins de plusieurs villages. La Hague comptait 9 moulins à vent en 1800, selon une étude du Parc naturel régional du Cotentin, dont un sur les hauteurs de Branville (définitivement abandonné vers 1910).

La pierre, l’eau, la lande : métiers au fil du sol

Qui connaît le “carrièreur” ? La Hague a longtemps été connue pour ses pierres plates et ses granits, extraits à force de bras dans de petites carrières familiales. L’ardoise surtout, entre Vauville, Jobourg et Flamanville, a servi à couvrir les toits des hameaux, tandis qu’à Branville les petits fours à chaux témoignent d’une activité ancienne.

  • Les carriers : On recensait au XIXe siècle, d’après le bulletin de la Société d’Archéologie de la Manche (1897), trois petites carrières actives à Branville. Les ouvriers travaillaient à la barre à mine et à la masse, chargeant les pierres sur des charrettes à bœufs.
  • Les “chaufourniers” : Près du hameau du Parc, des fours à chaux de petite dimension apparaissent sur le cadastre napoléonien, trace d’une production locale et d’une économie de la construction en autarcie.
  • Les vanniers : Utilisant l’osier des cours d’eau ou les jeunes pousses de saule, ils fabriquaient paniers, hottes et nasses. La tradition voulait que les jeunes garçons “descendent à la rivière” en hiver pour couper l’osier.

Les commerces et métiers ambulants au fil des saisons

La vie rurale demandait aussi sa part de systèmes “d à d”, sans boutique attitrée. Ambiance de foire, d’étal improvisé devant la maison, ou passage du colporteur...

  • L’épicier ambulant et le marchand de tissus : Jusqu’aux années 1950, des charrettes passaient de village en village, proposant denrées, “étoffes” ou quincaillerie, animant des haltes précieuses pour les habitants isolés. Le marché de Beaumont occupait également une place centrale pour la vente du beurre, du fromage de la Hague ou du fameux “pommé”.
  • Le ramasseur de pommes et le bouilleur de cru : L’automne voyait arriver le pressoir ambulant pour le cidre, et, discrètement, le fameux alambic. Autant d’occasions de rassembler, d’échanger des nouvelles, de sceller l’amitié autour d’un verre.

Des figures et des récits qui traversent les générations

Au-delà des recensements et des listes vieillies aux archives, les métiers d’antan à Branville-Hague évoquent surtout des visages et des récits. Parmi les histoires rapportées par les “anciens”, on retrouve :

  • Marie-Thérèse la postière, qui parcourait tous les hameaux à pied, parfois jusqu’à douze kilomètres par jour selon les tournées;
  • Le souvenir de Paul, l’ultime sabotier du village, dont l’atelier embaumait la sciure fraîche et le cuir de renfort;
  • Ces silhouettes anonymes, enfants poussant la charrette à foin ou vieilles mains filant la laine à la veillée, dont il reste parfois une photo sépia ou un récit au coin du feu.

On comprend alors que l’histoire de Branville-Hague n’est autre que celle d’une communauté tissée autour de métiers simples, essentiels, portés par la terre, la pierre, la mer et la débrouillardise du quotidien.

Transmissions d’hier pour demain

Si beaucoup de ces métiers se sont éteints avec l’irruption du siècle moderne, leurs traces, elles, persistent. Le nom des lieux-dits (La Sabotière, Le Moulin, La Chaufournière), la structure des chemins, la mémoire familiale, tout cela invite à interroger nos racines et à marcher, aujourd’hui encore, dans les pas de ces artisans d’autrefois.

À la belle saison, on pourra croiser, lors des fêtes de la Hague (Office de tourisme du Cotentin), quelques démonstrations de fabrication de sabots, de tissage, et entendre les anciens conter, à leur façon, le Branville de jadis.

Peut-être est-ce là, finalement, la plus belle invitation : garder l’oreille ouverte, le cœur prêt à s’émerveiller… Pour que jamais ne se taisent ces échos du passé.

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