Branville-Hague, un village façonné par le temps : récits et empreintes d’histoire

29/05/2025

Sous les racines : la naissance de Branville-Hague

Le nom de Branville-Hague est une invitation à voyager dans la langue et la mémoire. Comme beaucoup de villages du Cotentin, il révèle en creux une histoire de conquêtes, d’occupations et de paysages façonnés par la main de l’homme. La première partie, Branville, tire sans doute son origine d’un nom de personne d’époque franque ou scandinave, accolé au latin villa pour la ferme, domaine ou hameau. Plusieurs sources évoquent une racine germanique : “Brann” (peut-être un propriétaire) ou « braun », la couleur brune pouvant faire écho à la terre sombre des plateau. Le suffixe “Hague”, lui, désigne la région de la pointe ouest du Cotentin : « la Hague », issue de l’ancien normand « haga », signifiant la haie, le bocage, cet enchevêtrement végétal spécifique du pays.

L’appellation « Branville-Hague » apparaît tardivement pour distinguer le village d’autres Branville de Normandie. Les textes médiévaux le nomment parfois « Branville-en-Hague » ou « Branville-les-Hague ». L’entrelacs de ces noms régionaux témoigne des siècles de brassage de peuples, des Vikings jusqu’aux paysans du calvaire.

Pierres et cendres : Branville-Hague à travers les âges médiévaux

Aucune chronique flamboyante ne hisse Branville-Hague sur la scène des grandes batailles ou des fastes ducaux du Moyen Âge. Pourtant, à la faveur d’archives ou d’une promenade attentive autour du bourg, on sent l’empreinte profonde de ces siècles passés. Dès le XII siècle, Branville est cité dans les pouillés du diocèse de Coutances (source : Archives départementales de la Manche). Le site de l’actuelle église, la présence d’anciens murets aux coins de chemins, la toponymie autour des “fossés”, des “croûtes” (anciens chemins creux) laissent imaginer une structuration du village à l’époque féodale.

Durant la Guerre de Cent Ans, le Cotentin vit au rythme des incursions anglaises et des mises à sac : en 1415, la prise de Cherbourg par les Anglais a des répercussions jusque dans la Hague. De nombreux hameaux comme Branville subissent la pression des levées militaires et des réquisitions. C’est à cette époque également que les fiefs locaux se dessinent, parfois entrelacés avec ceux d’Omonville ou de Vasteville.

  • Une chapelle dédiée à Sainte-Anne, mentionnée dès 1320, aurait existé à la sortie du village, près d’une mare ; elle est citée dans quelques pouillés ecclésiastiques, avant de disparaître aux alentours du XVI siècle.
  • Des familles de notables, tels les “de Branville”, apparaissent dans certains actes de vente rédigés en latin ou en vieux français à la marge des abbayes locales.

Peu de traces monumentales subsistent, mais quelques maisons basses, les entremises en granit et portes en plein cintre laissent murmurer l’histoire médiévale dans le tissu même du village.

Le temps des révolutions et des mutations du territoire communal

Au soir de l’Ancien Régime, Branville-Hague est un modeste village rural. L’an I de la République inaugure une transformation irréversible : la Révolution française pousse à la création des communes. Branville devient municipalité en 1790, dans le canton de Beaumont-Hague. Ce changement s’accompagne de recensements systématiques et d’une réorganisation du territoire : aujourd’hui encore, le plan du village — son cœur, ses écarts, ses chemins communaux — est issu de ce découpage révolutionnaire.

La période du XIX siècle est hautement significative pour l’évolution du territoire :

  • Population : En 1801, la commune compte 228 habitants selon le premier recensement moderne. Au fil du siècle, la population fléchit légèrement, conséquence de l’exode vers Cherbourg ou les grandes villes.
  • Chemins vicinaux et écoles : Sous la Troisième République, la création d’une école communale et l’aménagement de chemins carrossables marquent l’ouverture de Branville sur la Hague et le Cotentin.
  • Adjonction / Réunion : Au XX siècle, la commune connaît la fusion avec Urville-Hague (1973-1982) avant de reprendre son autonomie jusqu’en 2017, où elle est intégrée dans La Hague, nouvelle commune issue de la réforme territoriale (source : INSEE, Code officiel géographique).

Ces bouleversements administratifs, parfois discrets dans le paysage, restent gravés dans les archives communales — registres d’état civil, délibérations du conseil, cadastres successifs. Ils redessinent les contours de l’identité locale.

Branville pendant la Seconde Guerre : entre ombres et solidarités

Il suffit de lever les yeux sur la stèle militaire de Branville-Hague pour entrevoir la marque profonde laissée par la Seconde Guerre mondiale dans la mémoire du village. Situé non loin du Mur de l’Atlantique, Branville fait partie de la zone « interdite », quadrillée par les troupes allemandes dès l’Occupation.

  • Réquisitions et occupations : De 1940 à 1944, de nombreuses fermes de Branville voient passer des soldats, réquisitionnés par l’armée allemande. Certains hameaux servent de points d’observation ou de dépôt pour le carburant et le matériel.
  • Résistance discrète : Comme ailleurs dans la Hague, la solidarité entre familles structure un réseau de soutien aux prisonniers évadés, ou permet l’échange de messages avec les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI). D’après Michel Boivin, dans son ouvrage sur la Hague en guerre (La Hague, 39-45 : une presqu’île occupée), Branville connaît des arrestations en 1943, plusieurs habitants suspectés de collaborer avec la Résistance.
  • Libération : Le 21 juin 1944, après les combats acharnés autour de Cherbourg, les Américains franchissent la ligne de crête entre Beaumont et Branville. Des traces d’impact sont encore visibles sur certaines maisons et murets de la Grand’Rue.

La Hague, dont Branville, se souvient encore des parachutages, du rugissement des chars américains, et du silence lourd des jours sans radio. Les années d’après-guerre voient la commune reconstruire les fermes endommagées, rendre hommage aux disparus et écrire, dans ses registres, les noms de celles et ceux qui “ont fait le devoir”.

A la croisée des métiers oubliés : inventaire d’un quotidien rural

Arpenter Branville-Hague, c’est imaginer le bruit régulier du maillet sur l’enclume, l’odeur âcre du lait au petit matin, la brume qui entoure le faucheur. Les métiers traditionnels y structuraient la vie quotidienne jusqu’au XX siècle.

  • Laboureur et fermier : Le travail des terres était le socle économique. On y trouve encore des traces de prairies closes par de hauts talus, semées de pommiers à cidre — héritage d’une polyculture vivrière.
  • Charpentiers de marine : Proximité de la côte oblige, de petits ateliers produisaient outils, tonneaux et parfois des coques de cotre pour la pêche au homard ou au maquereau.
  • Passeuses et sages-femmes : Les femmes jouaient un rôle essentiel au sein du village, souvent appelées d’un hameau à l’autre pour accompagner naissances et malades. Les registres mortuaires de la paroisse recèlent parfois des notes manuscrites sur leurs interventions.
  • Sabotiers, tailleurs de pierre, tisserands : Au fil des marchés locaux, ces métiers perduraient selon la saison, enrichissant l’économie d’appoint.

Si la mécanisation et l’industrialisation ont effacé ces figures, elles demeurent dans le vocabulaire local, et parfois à travers les outils exposés lors des journées du patrimoine à l’ancienne école communale.

Des pierres et des âmes : les signes de l’histoire religieuse à Branville

Au cœur du vieux bourg, l’église Saint-Paulin de Branville-Hague garde la mémoire de générations de fidèles, de curés et de processions. Cet édifice modeste, reconstruit au XVIII siècle, s’élève sur les vestiges d’un sanctuaire plus ancien, évoqué dès le XII dans le cartulaire de l’évêché de Coutances. On y reconnaît :

  • Un portail roman, remanié à la fin du Moyen Âge, dont la pierre ocrée tranche sur les moellons gris-noir du Cotentin.
  • Des pierres tombales parfois illisibles, ornées de croix migrantes — véritables archives des familles du village, dont certaines datent du XVII siècle.
  • La présence d’une procession annuelle à la Saint-Clair, qui rassemblait, jusqu’aux années 1960, l’ensemble des familles du secteur autour d’un cierge votif.

Les archives paroissiales, souvent déposées aux AD50 (Archives départementales de la Manche), offrent une plongée saisissante dans la foi quotidienne, mais aussi dans les querelles qui traversent le village : procès pour possession d’un banc, pétitions pour la réparation du clocher, donations pour la cloche fondue en 1891.

Des croix de mission et calvaires jalonnent également les entrées de Branville, témoignant de siècles où la foi structurait l’espace et le temps du village.

Entre manoirs et granits : l’empreinte des familles et notables locaux

Au fil des siècles, Branville-Hague a vu passer quelques grandes familles qui laissent leur empreinte non seulement dans la pierre mais dans la mémoire collective.

  • Famille de Branville : Dès le Moyen Age, cette lignée détient plusieurs terres et sièges au conseil paroissial. Le manoir de la Grosse Pierre, aujourd’hui propriété privée, serait à l’origine un ancien repaire noble (selon Normandie-Histoire.fr).
  • Famille Briquet : Au XVIII siècle, cette famille notaire tient l’auberge principale du village et participe activement à la Révolution locale : un descendant siège au Comité de Surveillance en 1793.
  • Famille Lemonnier : Propriétaires terriens et maires à plusieurs reprises au XIX siècle, ils initient l’installation de la première pompe à incendie et fondent la “société de secours mutuel” du village.

Leurs traces sont visibles : puissants linteaux gravés, archives notariales, plaques sur la place des Anciens Combattants et parfois dans les arbres généalogiques affichés lors des fêtes communales.

Archives et vieux papiers : fils d’Ariane de la mémoire locale

Pour celui qui veut percer les secrets de Branville-Hague, plusieurs sources offrent une plongée vivante et parfois intimiste dans l’histoire du village :

  • Registres paroissiaux et d’état civil, disponibles depuis 1674, égrenant naissances, mariages et décès. On y devine les aléas des épidémies, l’arrivée de familles du Nord Cotentin ou le départ de jeunes gens vers Cherbourg ou le Québec.
  • Cadastre napoléonien de 1811, accessible en ligne via les AD50, révèle l’agencement des terres et la répartition des marais et landes, aujourd’hui en grande partie boisées ou transformées.
  • Testaments, actes notariés (XVIIe-XIXe siècles), consultés à Beaumont-Hague ou Cherbourg : partages de maisons, ventes de parcelles ou inventaires de meubles livrent le détail d’un quotidien trop souvent oublié.
  • Papiers des sociétés agricoles locales, qui permettent d’approcher la vie des cultivateurs et leurs luttes pour le défrichage, ou les succès lors des foires au bétail.

De précieux témoignages oraux, collectés dans les années 1980 par l’association Locale du Patrimoine, complètent cette trame d’archives : souvenirs de veillées, descriptions de vieilles coutumes, récits de tempêtes mémorables.

Chemins du passé, sentiers d’aujourd’hui : invitation à la découverte

L’histoire de Branville-Hague ne se résume pas à quelques pierres disséminées ou à des patronymes gravés sur le bronze des monuments. C’est un palimpseste, feuilleté de vies, sculpté par le vent de la Hague et la ténacité de ses habitants. Les récits qu’on y devine entre deux haies ou à l’ombre d’un tilleul résonnent encore aujourd’hui, portés par ceux qui regardent le territoire à hauteur d’homme.

Pour aller plus loin et ressentir ce fil d’histoire, quelques suggestions à glisser dans les agendas :

  • Balade commentée sur les “chemins des hommes”, organisée chaque printemps par l’Office de Tourisme du Cotentin (OT Cotentin), pour découvrir la toponymie sur le terrain.
  • Consultation des archives numérisées aux Archives départementales de la Manche (AD50).
  • Participation à la fête patronale de Saint-Paulin au début de l’été.
  • Rencontre avec les anciens du village lors des marchés, véritables mémoires vivantes.

A Branville-Hague, chaque pierre levée, chaque chemin creux raconte un chapitre : il suffit parfois de tendre l’oreille au vent ou de lire une vieille inscription pour sentir battre l’histoire, discrète mais vivace, de ce pays de bocage et d’horizons.

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