Branville-Hague à l’époque médiévale : hauts faits, légendes et traces vivantes

10/06/2025

Aux sources de Branville-Hague : la naissance d’un village du Cotentin

Rares sont les textes qui racontent la naissance exacte de Branville-Hague. Mais il suffit d’arpenter ses ruelles ou de longer ses talus pour comprendre que ce village du nord-ouest du Cotentin plonge profondément ses racines dans le Moyen Âge. La toponymie elle-même, avec ce "Bran" venu du gaulois signifiant "colline", enracine le village dans la terre, la lande, et les traditions rurales.

Autour du Xe siècle, la Normandie prend forme. Branville, à cette époque, n’est sans doute qu’un petit hameau de paysans-préleveurs, certains d’ascendance viking, d’autres plus anciens encore. La région, marquée par l’arrivée de Rollon et de ses successeurs, connaît un mouvement de fixation des terres. Les seigneuries rurales se structurent, des églises voient le jour, et la Hague commence à s’organiser en paroisses.

  • La première mention : Les archives de l’abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte évoquent, dès le XIe siècle, certains "Branville" du Cotentin mais l’identification précise de Branville-Hague reste à nuancer parmi quatre Branville normands répertoriés (source : Cartulaire de Saint-Sauveur-le-Vicomte).
  • Les limites paroissiales : Branville s’intègre peu à peu au réseau des communautés d’églises rurales, dont les chantiers marquent l’affirmation du pouvoir religieux face aux grands propriétaires laïcs du Cotentin.

Entre seigneuries et abbayes : Branville, carrefour de pouvoirs

Le Moyen Âge, c’est aussi la grande époque des pouvoirs morcelés. La Hague n’échappe pas à la règle : petits fiefs et grandes abbayes se disputent la terre et ses habitants. Branville, entre le XIe et le XIIIe siècle, appartient tour à tour à différents seigneurs normands dont l’existence se dessine, parfois, au détour de documents de la cour ducale.

  • Un fief sous influence : La seigneurie de Branville, bien que modeste, dépendait alors de la baronnie de Bricquebec, l’un des puissants châteaux du Cotentin, tenu par les Bertran pendant plusieurs générations (source : Baronnie de Bricquebec, Wikipedia).
  • La terre, enjeu de dons pieux : Les familles locales, souvent, font don de lopins à l’abbaye de Saint-Sauveur ou à celle du Vœu à Cherbourg. Ce sont ces legs pieux qui permettent, par exemple, le financement de la construction de l’église du village et la venue des premiers curés résidents.
  • Sur la route des pèlerinages : Les villages de la Hague servaient aussi de halte aux pèlerins en route vers le Mont-Saint-Michel. Branville, proche de voies anciennes reliant Valognes à Omonville, a vu passer voyageurs et moines, surtout à l’époque où le culte de saint Michel connaît un formidable essor (source : Inventaire Patrimoine Normandie).

Des églises aux chapelles disparues : traces, reconstructions et anecdotes

Sur la lande, difficile d’imaginer la vie rythmée par les cloches et les cultes dont très peu de traces matérielles subsistent. Pourtant, Branville a connu (et perdu) plusieurs édifices religieux depuis le Moyen Âge.

  • L’église Saint-Martin : Édifiée pour partie à l’époque romane, son plan modeste rend compte de la taille du community à la fin du XIIᵉ siècle. L’abside semi-circulaire et quelques ouvertures étroites témoignent de cette époque (cf. relevé architectural 1834, Archives Départementales de la Manche).
  • Des croix et des calvaires : La tradition locale veut qu’une croix ancienne, aujourd’hui disparue, ait servi longtemps de repère entre les terres de Branville et celles de Digulleville, associée dans la mémoire populaire à des reliques oubliées lors d’un passage de templiers (voir : Bulletin des Études Contemporaines).

Parallèlement, la légende des souterrains reliant les anciennes chapelles à l’abbaye de Saint-Sauveur traverse les siècles. Divers témoins, dont le chanoine Le Maho (XVIIe siècle), évoquent la présence d’anciennes cryptes, aujourd’hui comblées, qui attisent l’imaginaire des enfants du village depuis des générations.

Mouvements de populations, guerres et paysages bouleversés

Le Moyen Âge n’a pas été que faste. La guerre de Cent Ans, les épidémies et les famines laissent des traces dans les archives comme dans les mémoires locales. Entre 1346 et 1450, le Cotentin – et donc Branville – fut le théâtre de multiples occupations anglaises et d’exodes temporaires de la population.

  • La peste noire : 1348 marque la vague la plus meurtrière : près de 40 % de la population du Cotentin est décimée en moins de trois ans (source : Stéphane William Gondoin, "La Normandie au temps des ducs").
  • Des terres dépeuplées : La paroisse de Branville, estimée à moins de 100 feux (foyers) en 1360, n’en compte plus que 48 en 1380 selon les rôles de taille conservés à Valognes.
  • Occupation anglaise : Les Anglais installent des garnisons autour de Cherbourg ; la Hague sert d’arrière-pays, les villages deviennent refuges, caches et parfois repaires de « routiers » (mercenaires) durant la décennie 1370-1380 (source : Actes du Congrès National des Sociétés Savantes, 1930).

En même temps, le bocage se transforme. Les talus, destinés à protéger les cultures et à freiner les pillages, connaissent un véritable essor au XIVe siècle. Ces haies, indissociables aujourd’hui du paysage de la Hague, trouvent là leur origine la plus directe.

La mémoire médiévale dans la vie locale : rites, fêtes et légendes

Ce sont souvent les détails les plus modestes qui témoignent de la force du passé. À Branville, le souvenir du Moyen Âge transparaît dans les histoires transmises de génération en génération.

  • La "Quête du feu" : Fête saisonnière d’origine médiévale, réactualisée par le village au XVIIIᵉ siècle, où l’on venait partager le feu nouveau pour bénir les croix de chemins et les cultures, écho lointain aux rites de protection hérités des siècles plus anciens (source : Tradition orale locale, collectée lors de l’enquête ethnologique de 1986, Archives départementales).
  • Légendes des pierres levées : Non loin du village, la "Pierre Saint-Clair", dressée dans la lande, fait l’objet de veillées : certains la disent liée à un ancien monastère, d’autres à une sépulture de chevalier. Ces récits, collectés par les folkloristes normands, entretiennent la mémoire d’un Moyen Âge héroïque (source : Léon Lesage, "Contes et légendes du Cotentin").
  • Les foires et marchés : Dès le XIIIᵉ siècle, Branville obtient l’autorisation d’organiser une foire à Saint-Martin, source de vie et d’échanges saisonniers, perpétuée jusqu’au début du XXᵉ siècle (archives préfectorales de la Manche).

Focus : Femmes et figures de l’ombre dans l’histoire médiévale locale

La chronique officielle du Moyen Âge laisse peu de place à la parole des femmes et des anonymes. Pourtant, la vie quotidienne du village repose, là comme ailleurs, sur des figures discrètes.

  • Les fileuses de Branville : Les recensements ecclésiastiques mentionnent, au XIVᵉ siècle, la présence d’un petit groupe de fileuses occupant une "maison de la laine" à la lisière du bourg. Leur production était convoitée par les marchands du Val de Saire (source : Inventaire du patrimoine textile, BNF).
  • Les guérisseuses : Quelques procès intentés au XVe siècle, pour "charlatanerie" ou "maléfices", témoignent de la place ambiguë qu’occupaient certaines femmes dans la vie et l’imaginaire du village (source : Archives judiciaires de Saint-Sauveur-le-Vicomte, cote B24).

Balade guidée — Sur les pas du Moyen Âge à Branville-Hague

Aujourd’hui, marcher sur les chemins autour de Branville, c’est fouler mille ans de mémoire. Quelques repères pour une balade en quête de ces souvenirs :

  1. L’église Saint-Martin : Sa nef ancienne, son modeste clocher, sert de point d’ancrage à l’histoire locale.
  2. La lande des légendes : À la croisée des chemins, partez à la recherche des pierres oubliées, des croix et des calvaires abandonnés.
  3. Les talus et chemins creux : Héritage tangible du travail acharné des siècles passés pour protéger la terre et les vivres de la violence et des intempéries.
  4. Le lavoir : Point de rencontre traditionnel, toujours à l’écart des regards, repère pour saisir la vie des "sans-voix" dans l’histoire du village.

Bientôt, une carte commentée des lieux médiévaux de Branville-Hague sera proposée sur le blog, pour prolonger la découverte sur le terrain.

Échos du Moyen Âge : un héritage discret, toujours présent

La trame médiévale de Branville-Hague se devine parfois plus qu’elle ne se voit. Dans le relief du bocage, la mémoire des pierres, ou ces noms de chemins qui roulent sur la langue comme des mots anciens, l’histoire affleure, vivante et secrète. Évoquer ce passé, même par bribes, permet d’habiter autrement le territoire, attentif aux silences autant qu’aux héritages. Ici, au bout de la Hague, le Moyen Âge n’est jamais tout à fait terminé.

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