Branville-Hague au cœur de l’Occupation : la Seconde Guerre mondiale vue des chemins creux

06/06/2025

Un coin de Cotentin sous la tourmente : panorama historique

Quand on parcourt aujourd’hui les sentiers bocagers de Branville-Hague, difficile d’imaginer la tension des années d’Occupation. Pourtant, entre 1940 et 1944, tout, ici, respirait la guerre à bas bruit : la densité des landes piégées, la rumeur lointaine du port de Cherbourg, le silence prudent des villages resserrés contre la mer. Branville-Hague, comme tout le nord-Ouest du Cotentin, s’est trouvé au premier rang du front atlantique après la débâcle de juin 1940 et l’arrivée des troupes allemandes.

La proximité de l’arsenal de Cherbourg (transformé en port militaire majeur du Mur de l’Atlantique) et la côte stratégique de la Hague ont marqué la vie locale, entre restrictions, contrôles et présence militaire massive.

  • Occupation allemande dès le 19 juin 1940 dans la Hague (Mémorial de Caen)
  • Intégration forcée dans le système défensif du Mur de l’Atlantique à partir de 1942
  • Réseau routier surveillé, passages filtrés, relations surveillées avec l’extérieur

La vie quotidienne face à l’Occupant

Branville-Hague, microcosme de la Hague, connaissait une population largement rurale, dispersée en hameaux, dans des maisons de pierres grises. La présence des troupes allemandes, dans la région, signifiait :

  • Réquisitions de terres et de bâtiments pour l'installation de batteries ou de postes d’observation
  • Occupation de fermes et perquisitions régulières
  • Présence de travailleurs forcés, notamment pour la construction du Mur de l’Atlantique

La population, majoritairement agricole, a vu ses récoltes réquisitionnées, le bétail surveillé, des familles perdrent leur autonomie. Les tickets de rationnement rythmaient les repas, et la contrebande avec Jersey devenait parfois une question de survie. On échangeait des œufs, du beurre ou du cidre, au risque de sanctions sévères.

Les écoles restaient ouvertes malgré les difficultés. Les enfants croisaient parfois des convois de camions allemands ou longeaient les plages interdites, marquées de barbelés et de miradors.

Branville-Hague dans la toile résistante : actes et silences

La Résistance dans la Hague est souvent associée à Cherbourg, point central des transmissions et des maquis. Mais Branville-Hague, à sa façon, a servi d’abri discret, de relais modeste ou de cache silencieuse :

  • Passages clandestins d’aviateurs alliés abattus, aidés par des habitants à rejoindre le sud ou Jersey (Ouest-France)
  • Renseignements transmis sur les mouvements des troupes ennemies et état des défenses côtières
  • Cache d’armes ou de vivres pour des petits groupes de l’Armée secrète ou du réseau « Ceux de la Libération »

La topographie du territoire, ses chemins creux, ses bois, offraient des abris furtifs mais précieux. Les risques étaient réels, les dénonciations parfois brutales, et plusieurs habitants de villages voisins furent arrêtés ou déportés.

Le silence reste la marque de cette résistance souvent anonyme : les témoins de cette époque, comme on le retrouve dans les archives orales de l’association « Mémoire de la Hague », évoquent encore ce mélange de peur, de débrouillardise et de solidarité muette.

Sur les traces du Mur de l’Atlantique : vestiges oubliés

Entre 1942 et 1944, le littoral de la Hague devient un chantier militaire d’envergure. Près de Branville-Hague : blockhaus, casemates, points d’observation sont bâtis à un rythme soutenu.

  • Au total, plus de 250 ouvrages militaires recensés entre Goury et Omonville jusqu’à l’ouest du Val de Saire (Atlantikwall.fr)
  • Position de Digosville : plusieurs batteries lourdes déployées à moins de 20 km de Branville
  • Les falaises de la Hague : surveillées en permanence, minées, l’accès aux rivages presque impossible sans laisser-passer
  • Batterie de Jobourg – située à quelques kilomètres, elle constituait un site stratégique pour contrôler les approches de Cherbourg

Aujourd’hui, quelques blockhaus subsistent, recouverts de lichens, parfois cachés sous les fougères ou les ronces, témoignant du béton qui a bousculé la lande. Certains habitants parlent encore des éboulements dus à la dynamite, des grottes effondrées qui servaient de caches.

Le D-Day vu du bout du Cotentin : la Hague et la Libération

Le 6 juin 1944 marque le début du grand bouleversement. Alors que les Alliés débarquent sur Utah Beach, la Hague attend. Les jours suivants, Branville-Hague, comme tous les villages alentours, connaît un passage de front rapide mais violent :

  • Combats notables autour de la route reliant Cap de la Hague à Cherbourg, cible d’encerclement allié (Carnet du Cotentin)
  • Retraite précipitée des troupes allemandes vers Cherbourg ou la presqu’île de Goury
  • Destruction de certains ponts et routes pour retarder l’avancée alliée
  • Arrivée de troupes américaines le 21 juin 1944, quelques jours après la prise de Cherbourg

Des témoignages rapportent le soulagement mêlé à l’incrédulité : l’armée américaine est accueillie par des drapeaux improvisés, des repas partagés mais aussi la douleur d’avoir perdu des voisins, parfois tombés lors des combats ou des bombardements. L’école de Branville-Hague aurait prêté ses locaux à une unité régulatrice du passage des troupes libératrices.

Entre silence et transmission : la mémoire locale de la guerre

À Branville-Hague, la mémoire de la guerre est plus souterraine que monumentale. Peu de plaques, encore moins de statues. Mais dans certaines familles, on conserve une photo d’un disparu, un carnet de tickets ou l’histoire d’un maquisard caché dans les bois. Certains sentiers portent des noms énigmatiques : « chemin du Capitaine », « lisière aux fusils », héritage discret d’actes de bravoure.

Chaque année, le 8 mai ou le 27 janvier (Libération de Cherbourg), quelques fleurs sont déposées devant les stèles des villages voisins, et des voix évoquent la peur de l’Occupation, la solidarité tissée à voix basse. Le patrimoine oral local s’enrichit des récits recueillis depuis une décennie (« Mémoire de la Hague », Archives départementales de la Manche).

  • Environ 230 habitants de la Hague auraient péri lors de la Seconde Guerre mondiale, civils et soldats confondus (source : Normandie 44 La Mémoire)
  • Plus d’une vingtaine d’actes reconnus de résistance recensés spécifiquement dans la région entre 1942 et 1944
  • Plus de 2 000 travailleurs français et étrangers employés, souvent de force, pour les travaux militaires tout autour de la Hague

Ce tissu d’histoires, parfois brisées, parfois tues, nourrit le territoire d’une densité humaine qu’on devine, en silence, sur les chemins de Branville-Hague.

À explorer aujourd’hui : suggestions et pistes pour curieux

  • Randonnée mémoire : Suivre le sentier du littoral entre le Nez de Jobourg et Herqueville, en s’attardant sur les ruines camouflées de blockhaus (balises explicatives à Goury, Omonville-la-Rogue)
  • Médiathèque de la Hague : Accès libre à des témoignages sonores d’anciens du village, archives et photographies d’époque
  • Visite guidée patrimoniale « La Hague sous l’Occupation » organisée chaque été au départ de Beaumont-Hague (réservations Office de tourisme)
  • Consultation en ligne : les ressources géolocalisées d’Atlantikwall.fr pour repérer les vestiges
  • Les marchés du coin : certains anciens aiment encore raconter, autour d’un café, l’arrivée des chars américains ou la peur des bombardements

L’écho discret d’un territoire en guerre

Branville-Hague, derrière ses murs de pierre couverts de lichens et ses chemins tapissés de bruyères, porte encore la mémoire d’une Seconde Guerre mondiale rurale, vécue loin du tumulte des grandes villes, mais jamais épargnée. La guerre y fut faite de privations, de travail forcé, de risques silencieux et d’un espoir obstiné.

Plonger dans cet épisode, c’est comprendre une Hague inquiète et résiliente, où chaque bosquet pouvait cacher un secret et chaque ferme, un acte de résistance ou de survie. Ce sont ces fragments, ces voix enlacées aux haies, qui constituent la singularité de la mémoire locale — une mémoire qui, aujourd’hui encore, accompagne la marche à travers Branville-Hague.

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